Volume 04 pages 306-307
On appelle conseil de prud’hommes des tribunaux com
posés de délégués élus des ouvriers et des patrons (des
fabricants dans l’industrie), qui examinent les allaires et
les diilérends si fréquemment suscités par les conditions
d’embauche, par la détermination du salaire pour un
travail normal et pour le paiement des heures supplémen
taires, par le congédiement des ouvriers en violation des
règles établies, les dédommagements pour détérioration
de matériel, les amendes arbitraires, etc., etc. Ces tribu
naux existent dans la plupart dos pays d’Europe occiden
tale, mais pas en Russie ; nous nous proposons d’examiner
les avantages qu’ils apportent aux ouvriers et les raisons
pour lesquelles il est désirable de les instituer en plus
des tribunaux ordinaires, où opère un seul juge désigné
par le gouvernement ou élu par les classes possédantes,
sans aucun représentant élu des patrons ni des ouvriers.
Le premier avantage du conseil de prud’hommes est
d’être beaucoup plus accessible aux ouvriers. Pour porter
plainte devant un tribunal ordinaire, il iaut rédiger une
requête (ce qui exige souvent le concours d’un avocat) ; il
faut payer les droits de timbre, attendre longtemps le jour
du jugement, comparaître devant le tribunal en interrom
pant pour cela son travail et celui des témoins ; il iaut at
tendre ensuite que l’aiiaire soit, sur la plainte des parties
mécontentes, renvoyée devant une instance supérieure, où
elle fera l’objet d’un nouveau jugement. 11 n’est pas éton
nant que les ouvriers mettent si peu d’empressement à
s’adresser aux tribunaux ordinaires ! Par contre, les con-
seils de prud’hommes sont composés do patrons et d’ou
vriers élus en qualité de juges. Rien n’est plus lacile pour un
ouvrier que d’exposer oralement sa plainte à un camarade
qu’il a lui-même élu délégué. Les séances des conseils
de prud’hommes ont ordinairement lieu les jours de fête
ou, en général, à une heure où les ouvriers sont libres et
n’ont pas à quitter leur travail. La procédure y est bien
plus rapide.
Le deuxième avantage des conseils de prud’hommes
pour les ouvriers, c’est que les juges y sont beaucoup plus
compétents dans les allaires concernant les fabriques et les
usines, qu’en outre ce ne sont pas des lonctionnaires venus
d’ailleurs, mais des gens de l’endroit, connaissant la vie
des ouvriers et les conditions de la production locale ;
enfin, la moitié des juges sont des ouvriers, qui se com
porteront toujours avec équité envers l’ouvrier, au lieu de
voir en lui un ivrogne, un insolent ou un ignorant (c’est
ainsi que les ouvriers sont considérés par la majeure partie
des juges lonctionnaires, qui se recrutent dans la classe
de la bourgeoisie, dans la classe des possédants, et qui con
servent presque toujours leurs attaches avec la société
bourgeoise, avec les iabricanls, les directeurs, les ingénieurs,
mais sont séparés des ouvriers comme par une muraille de
Chine). Le principal souci des juges lonctionnaires est que
l’aiiaire soit réglée dans le respect des formes : pourvu
que les papiers soient établis en bonne et due forme, le
reste importe peu au ionctionnaire, dont l’unique ambition
est de percevoir son traitement et de se faire bien voir de
ses supérieurs. C’est ce qui lait que, dans les tribunaux
bureaucratiques, il y a toujours cette scandaleuse surabon
dance de paperasserie, de chicaneries et d’artifices de pro
cédure : il sullit de s’écarter d’une lormule rituelle ou de
ne pas consigner quelque chose en temps utile dans un
procès-verbal pour que tout soit perdu, même si l’on était
dans son droit. Quand les juges sont élus par les patrons et
par les ouvriers, ils n’ont nul besoin d’accumuler des pa
perasses, car ils ne travaillent pas pour un traitement et
ne dépendent pas de lonctionnaires parasites. Ils ne se sou
cient pas de décrocher un poste encore plus lucratif, mais de
régler les conflits qui empêchent les iabricanls de laire
marcher leurs entreprises sans à-coups, et les ouvriers de
20*