Volume 04 pages 236-237
crate de Russie », qui a proclamé son intention d’élaborer
le programme du Parti dans un proche avenir, a montré
avec évidence que la nécessité d’un programme est née des
besoins du mouvement lui-même. La question urgente de
notre mouvement n’est plus à l’heure actuelle de développer
l’ancien travail disséminé, « artisanal », mais d’unir, d’or
ganiser. Pour faire ce pas, il faut un programme ; celui-ci
doit formuler nos vues essentielles, fixer avec précision
nos tâches politiques immédiates, indiquer les revendica
tions pressantes autour desquelles doit s’exercer notre tra
vail d’agitation, lui conférer l’unité, l’étendre et l’appro
fondir en transformant l’agitation particulière, fragmen
taire, pour des revendications minimes et isolées, en une
agitation pour tout l’ensemble des revendications social
démocrates. A l’heure où l’activité social-démocrate a mis
en branle une couche assez largo d’intellectuels socialistes
et d’ouvriers conscients, la nécessité s’affirme impérieuse
ment de consolider leurs liens par un programme et de leur
assigner ainsi à tous une base solide pour une activité ulté
rieure plus étendue. Enfin, la nécessité d’un programme
s’affirme impérieusement aussi parce que très souvent
l’opinion publique russe se trompe du tout au tout quant
aux véritables tâches et aux procédés d’action des social
démocrates russes : pour une part, de telles erreurs nais
sent naturellement sur le marais croupissant de notre vie
politique ; pour une autre part, elles sont suscitées arti
ficiellement par les adversaires do la social-démocratio.
En tout état de cause, c’ost un fait dont il faut tenir compte.
En fusionnant avec le socialisme et la lutte politique, le
mouvement ouvrier doit former un parti qui puisse dissiper
toutes ces erreurs, s’il veut prendre la tête do tous les élé
ments démocratiques de la société russe. On peut nous objec
ter que le moment actuel est d’autant plus mal choisi pour
l’élaboration d’un programme que des divergences surgis
sent et qu’une polémique s’engage parmi les social-démocra
tes eux-mêmes. Il me semble que c’est là, au contraire, un
argument de plus en faveur du programme. D’une part,
puisque la polémique est amorcée, il y a lieu d’espérer que,
lors de la discussion du projet, toutes les opinions et toutes
les nuances d’opinion se feront jour, et que le programme
sera discuté à fond. La controverse montre que les social-
démocrates russes portent un intérêt accru aux grands
problèmes concernant les buts de notre mouvement, ses
tâches immédiates et sa tactique, et cet intérêt est justement
indispensable à la discussion du projet. D’autre part, alin
qu’elle ne soit pas stérile et ne dégénère pas en rivalités
de personnes, afin qu’elle n’ait pas pour résultat d’em
brouiller les idées et de confondre ennemis et camarades, on
doit absolument y poser la question du programme. La po
lémique ne sera utile que si elle montre en quoi consistent
à proprement parler les divergences, à quel point elles sont
profondes, si ces divergences portent sur le fond ou sur des
questions de détail, si elles empêchent ou non de travailler
en commun dans les rangs, d’un même parti. On ne saurait
obtenir une réponse à toutes ces questions pressantes que
si l’on pose au cours de la controverse la question du pro
gramme ; que si les doux parties proclament nettement
leurs vues en matière de programme. Certes, l’élaboration
d’un programme général du Parti ne doit nullement mar
quer la lin de toute polémique ; mais elle fixera cepen
dant les conceptions fondamentales sur le caractère, les
objectifs et les tâches de notre mouvement, conceptions
qui doivent servir de drapeau à un parti militant, gar
dant sa cohésion et son unité malgré des divergences de
détail existant parmi ses membres sur les questions de
détail.
Cela posé, venons-en au fait.
Lorsqu’on parle d’un programme des social-démocrates
russes, tous les regards se portent naturellement sur les
membres du groupe « Libération du Travail », qui ont
fondé la social-démocratie russe et ont tant fait pour son
développement théorique et pratique. Nos camarades aînés
n’ont pas tardé à réagir aux impératifs du mouvement
social-démocrate russe. Presque au moment même — au
printemps 1898 — où se préparait le congrès des social-dé
mocrates russes qui posa les fondements du « Parti ouvrier
social-démocrate de Russie », P. Axelrod publiait sa bro
chure intitulée : A propos des tâches et de la tactique actuel
les des social-démocrates russes (Genève 1898 ; la préface
est datée de mars 1898), et faisait paraître en annexe le
Projet de programme des social-démocrates russes, édité par
le groupe « Libération du Travail » dès 1885.