Volume 04 pages 238-239
C’est par la discussion de ce projet que nous allons com
mencer. Bien que publié il y a près de quinze ans, il s’ac
quitte de sa tâche, à notre avis, d’une manière très satisfai
sante dans l’ensemble et se trouve parfaitement au niveau
de la théorie social-démocrate moderne. Ce projet désigne
nettement la classe qui seule, en Russie (comme du reste
dans les autres pays), est capable d’être indépendante dans
la lutte pour le socialisme : la classe ouvrière, le « prolé
tariat industriel » ; il montre le but que doit s’assigner
cette classe — « la transformation en propriété sociale
de tous les moyens et objets de production », « la suppres
sion de la production marchande » et son « remplacement
par un nouveau système de production sociale », la « révo
lution communiste » ; il indique « la condition prélimi
naire indispensable » de la « refonte des rapports sociaux » :
la « conquête du pouvoir politique par la classe ouvrière » ;
il fait cas de la solidarité internationale du prolétariat et
de la nécessité d’un « élément de diversité dans les program
mes des social-démocrates des différents Etats conformé
ment aux conditions sociales de chacun d’eux pris à part » ;
il relève le trait particulier de la Russie, « où les masses
laborieuses subissent le double joug du capitalisme en
cours de développement et de l’économie patriarcale en
voie de disparition » ; il montre le lien entre le mouve
ment révolutionnaire russe et la création (par les forces
du capitalisme en évolution) d’une « nouvelle classe, la
classe du prolétariat industriel, plus réceptive, plus active
et plus évoluée » ; il indique la nécessité de former « un
parti ouvrier révolutionnaire » et précise « sa première
tâche politique»: le «renversement de l’absolutisme»;
il montre « les moyens de la lutte politique » et en formule
les principales revendications.
Tous ces éléments sont, à notre avis, absolument indis
pensables dans le programme du parti ouvrier social
démocrate ; ils énoncent tous des thèses qui, depuis lors,
ont été de plus en plus confirmées aussi bien par l’évolu
tion de la théorie socialiste que par celle du mouvement
ouvrier de tous les pays, notamment par le progrès de la
pensée sociale et du mouvement ouvrier russes. Aussi, les
social-démocrates russes peuvent et doivent, selon nous,
prendre comme base du programme du Parti ouvrier social-
démocrate de Russie le projet du groupe « Libération du
Travail », dont la mise au point ne requiert que des modi
fications, amendements et compléments rédactionnels de
détail.
Essayons de noter ceux des changements de détail qui
nous paraissent utiles et au sujet desquels il serait désirable
de provoquer un échange de vues entre tous les social-démo
crates et les ouvriers conscients.
Tout d’abord il faut, bien entendu, modifier quelque
peu la structure du programme : en 1885, c’était celui
d’un groupe de révolutionnaires vivant à l’étranger, qui
avaient su déterminer de laçon juste la seule voie d’évo
lution du mouvement promise au succès, mais qui n’avaient
pas encore sous les yeux, à l’époque, un mouvement ouvrier
tant soit peu large et indépendant en Russie. En 1900, il
s’agit désormais du programme d’un parti ouvrier, fondé
sur la base de tout un ensemble d’organisations social
démocrates russes. Outre les modifications rédactionnelles
rendues indispensables de ce fait (et sur lesquelles il n’est
pas besoin do s’arrêter plus longuement puisqu’elles tom
bent sous le sens), il découle de cette différence la nécessité
de mettre au premier plan et de souligner davantage le pro
cessus économique de développement qui engendre les con
ditions matérielles et morales du mouvement ouvrier so
cial-démocrate aussi bien que la lutte de classe du prolé
tariat, lutte que le parti social-démocrate est appelé à or
ganiser. Il importerait de faire ressortir la caractéristique
des traits fondamentaux du régime économique actuel de
la Russie et do son évolution (voir le programme du groupe
« Libération du Travail » : « Le capitalisme a fait des
progrès considérables en Russie depuis l’abolition du ser
vage. L’ancien système d’économie naturelle fait place
à la production marchande »...), et d’esquisser ensuite la
tendance prépondérante du capitalisme : la division du
peuple en bourgeoisie et prolétariat, la « croissance de
la misère, de l’oppression, de l’esclavage, de la dégra
dation, de l’exploitation »90. Ces paroles célèbres de Marx
sont citées dans le second paragraphe du programme d’Er
furt du parti social-démocrate allemand91; ces derniers temps,
les critiques groupés autour de Bernstein se sont particuliè
rement acharnés contre ce point, en reprenant les vieilles