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peler une forme du mouvement ouvrier, créera l’organisation ou les
organisations les plus conformes aux conditions russes. A l’heure ac
tuelle, on peut affirmer en toute certitude que le mouvement ouvrier
russe se trouve encore dans un état amiboïde* et n’a créé aucune for
me. Le mouvement gréviste, qui existe qùclle que soit la forme
d’organisation, ne peut encore être considéré comme une forme cristal
lisée du mouvement russe ; quant aux organisations illégales, elles
ne méritent pas d’attention, ne serait-ce que du point de vue purement
quantitatif (pour ne rien dire de leur utilité dans les conditions actuel
les).
Telle est la situation. Si l’on ajoute à cela les famines et la ruine
des campagnes, qui favorisent le Streikbrecherisme**, et il devient par
conséquent encore plus difficile d’élever la culture des masses ouvrières
à un niveau plus acceptable, alors ... que reste-t-il à faire à un mar
xiste russe? ! Les propos sur la création d’un parti politique ouvrier
indépendant ne sont que l’effet de la transplantation sur notre sol
d’objectifs étrangers, de résultats étrangers. Le marxiste russe fait jus
qu’à présent triste figure. Scs buts pratiques sont actuellement dériso
ires; ses connaissances théoriques, pour autant qu’il les utilise non com
me un instrument de recherche, mais comme un schéma d’activité, n’ont
aucune valeur même pour ce qui est d'atteindre ces objectifs pratiques
dérisoires. De plus, ces schémas empruntés sont nuisibles au point de
vue pratique. Oubliant que la classe ouvrière d'Occident est entrée
en lice sur un terrain politique déjà déblayé, nos marxistes manifestent
un dédain exagéré pour l’activité radicale ou d’opposition libérale
de toutes les couches non ouvrières de la société. Les moindres tenta
tives de concentrer l’attention sur les manifestations publiques re
levant d’une politique libérale soulèvent les protestations des marxis
tes orthodoxes, qui oublient que tout un ensemble de conditions his
toriques nous empêchent d’être des marxistes d’Occident et exigent
de notre part un autre marxisme, approprié et nécessaire dans les
conditions russes. L’absence, chez tout citoyen russe, de sens et de
flair politiques ne peut évidemment être racheté par des propos sur
la politique ou des appels à une force inexistante. Ce flair politique
ne peut etre acquis que par l’éducation, c’est-à-dire par la participa
tion à la vie (si peu marxiste soit-elle) que nous offre la réalité russe.
Autant la « négation » était (provisoirement) opportune en Occident,
autant elle est nuisible chez nous, car une négation émanant d’une
force organisée et effective est une chose, alors qu’une négation éma
nant d’une masse informe d’individus dispersés en est une autre.
Pour un marxiste russe il n’y a qu’une issue : participer, c’est
à-dire contribuer à la lutte économique du prolétariat et prendre part
à l’activité de l’opposition libérale. En tant que « négateur », le mar
xiste russe est arrivé trop tôt, et cette négation a affaibli en lui la
part d’énergie qui doit être orientée vers le radicalisme politique. Jus
* Du mot amibe : animal microscopique très primitif qui n’a
pas de forme nettement définie. (N.R.)
** Du mot allemand Streikbrecher : briseur de grève, « jaune».
(Æ.B.) .