☭ Lénine : Œuvres complètes informatisées

| Éditions Communistus

Volume 04 pages 166-167

la contradiction examinée est un fait qui ne soulève aucun
doute, que confirme l’expérience quotidienne de millions
de gens, et c’est précisément l’observation de ce lait qui
rallie les travailleurs aux vues dont la théorie de Marx
donne une expression complète et scientifique. Cette contra
diction n’a nullement pour conséquence inéluctable la
production systématique d’un produit excédentaire (com
me se plaît à le croire M. Nejdanov). Nous sommes pleine
ment en droit de nous représenter (en raisonnant de façon
purement théorique sur une société capitaliste idéale) la
réalisation de la totalité du produit dans la société capita
liste, sans aucun produit excédentaire, mais nous ne pou
vons nous représenter le capitalisme sans décalage entre la
production et la consommation. Ce décalage s’exprime
(comme Marx l’a clairement montré dans ses schémas)
par le fait que la production des moyens de production peut
et doit dépasser celle des biens de consommation.

Ainsi, M. Nejdanov a conclu bien à tort que la contra
diction entre la production et la consommation doit donner
systématiquement un produit excédentaire, et de cette er
reur a découlé l’accusation injustifiée d’inconséquence qu’il
adresse à Marx. Au contraire, Marx reste rigoureusement
conséquent quand il montre :
1) que le produit peut être réalisé dans la société ca
pitaliste (à condition, évidemment, de supposer une propor
tionnalité entre les diilérentes branches de l’industrie);
que, pour expliquer cette réalisation, il serait erroné de
faire intervenir le commerce extérieur ou des « tierces per
sonnes » ;
2) que les théories des économistes petits-bourgeois (à
Za* Proudhon) en ce qui concerne l’impossibilité de réali
ser la plus-value reposent sur une incompréhension totale
du processus même de la réalisation ;
3) que même en admettant une réalisation parfaitement
proportionnelle, idéale, sans accroc, nous ne pouvons nous
représenter le capitalisme sans contradiction entre la
production et la consommation, sans que le gigantesque
développement de la production s’accompagne d’une aug
mentation extrêmement faible (voire de la stagnation ou
de la détérioration) de la consommation populaire. La
* En fiançais dans le texte, (N.R.)

réalisation s’opère plutôt en fonction des moyens de pro
duction qu’en ionction des biens de consommation : cela
ressort clairement des schémas de Marx-; et cela entraîne,
à son tour, cette conséquence inéluctable que « plus la for
ce productive se développe, plus elle entre en conflit avec
la base étroite sur laquelle sont fondés les rapports de
consommation » (Marx)51. Tous les passages du Capital
traitant de la contradiction entre la production et la con
sommation*, prouvent clairement que c’est exclusivement
en ce sens que Marx concevait la contradiction entre la pro
duction et la consommation.

Par ailleurs, M. Tougan-Baranovski, à en croire
M.P. Nejdanov, nierait également qu’il y ait contradiction
entre la production et la consommation dans la société capi
taliste. Je ne sais pas si c’est exact. M. Tougan-Baranovski
a lui-même donné dans son livre un schéma montrant que la
production peut augmenter en même temps que la consomma
tion diminue (et cela, en effet, est possible et se produit
en régime capitaliste). Peut-on contester que nous ayons ici
une contradiction entre la production et la consomma
tion, bien qu’il n’y ait pas, on l’occurrence, de produit
excédentaire ?

En taxant Marx (et moi-même) d’inconséquence,
M. P. Nejdanov a en outre perdu de vue que, pour fonder
son opinion, il aurait dû expliquer comment il convient de
comprendre l’« indépendance » de la fabrication des moyens
de production par rapport à celle des biens de consommation.

Selon Marx, cette «indépendance» se limite à ceci qu’une
partie déterminée (en hausse constante) de la production,
qui consiste en moyens de production, est réalisée par
des échanges à l’intérieur de la section considérée,
c’est-à-dire par des échanges de moyens de production
contre des moyens de production (ou‘par l’utilisation in
natura du produit obtenu en vue d’une nouvelle produc
tion) ; mais, en fin de compte, la fabrication des moyens
de production est nécessairement liée à celle des biens de
* Ces passages sont cités dans mon article du Naoutchnoïê Obozré
nié, 1899, n° 1 (voir le présent tome.pp. 55 et suiv.—TV.7?.) et repris dans
le chapitre 1 du Développement du capitalisme en Russie, pages 18-19
(voir V. Lénine, Œuvres, tome 3.—TV.Æ.).