Volume 04 pages 122-123
et spécialement les populistes russes (il suffit do rap
peler le livre cité ci-dessus de M. Kabloukov) portent
aux nues les coopératives groupant de petits agriculteurs.
L’excellente analyse que donne Kautsky du rôle joué par
les coopératives n’en prend que plus d’importance. Celles
des petits exploitants agricoles sont évidemment un chaînon
du progrès économique, mais elles marquent un passage au
capitalisme (Fortschritt zum Kapitalismus) et pas du tout
un passage au collectivisme, comme on le pense et comme on
l’affirme souvent (S. 118). Loin de minimiser la supério
rité (Vorsprung) de la grande production sur la petite,
les coopératives la renforcent parce que les gros exploi
tants ont plus de moyens d’organiser des coopératives, et
profitent davantage de cette possibilité. Que la grande
production communautaire, collectiviste, l’emporte sur la
grande production capitaliste, Kautsky le reconnaît — cela
va de soi — de la façon la plus catégorique. 11 examine
les expériences de gestion collective de l’agriculture qui
ont été faites en Angleterre par les disciples d’Owen *,
et les communautés analogues dans les Etats-Unis de l'Amé
rique du Nord. Toutes ces expériences, dit Kautsky, dé
montrent péremptoirement que la gestion collective do la
grande production agricole moderne est parfaitement pos
sible, mais que, pour faire de cette possibilité une réa
lité, il faut « tout un ensemble do conditions économiques,
politiques et intellectuelles ». Ce qui empêche les petits
producteurs (aussi bien l’artisan que le paysan) de pas
ser à la production collective, c’est le progrès extrême
ment faible parmi eux do la solidarité et de la discipline,
c’est leur isolement, leur «fanatisme de propriétaires », cons
taté non seulement chez les paysans d’Europe occidentale,
mais — ajouterons-nous de notre propre chef — également
parmi les paysans russes «communautaires» (rappelez-vous
A. Engelhardt et G. Ouspenski). « Il est absurde d’escomp
ter, déclare catégoriquement Kautsky, que dans la société
actuelle le paysan passe à la production collective» (S. 129).
Tel est le contenu extrêmement riche du chapitre VI
du livre de Kautsky. M. Boulgakov est particulièrement
* Pages 124-126, Kautsky décrit la commune agricole de Rala
bine dont M. Dionéo entretient aussi les lecteurs russes dans le n° 2 du
Rousskoîê Bogatstoo pour l’année en cours.
mécontent de ce chapitre. Kautsky, nous dit-on, est cou
pable d’avoir commis le « péché capital » de confondre des
notions différentes : « les avantages techniques sont con
fondus avec les avantages économiques ». Kautsky « part de
la supposition lausse qu’un moyen de production plus par
fait du point de vue technique serait aussi plus parlait,
c’est-à-dire plus viable, du point de vue économique ». Ce
jugement sans appel de M. Boulgakov est absolument dénué
de londement, ce dont le lecteur est déjà convaincu, nous
l’espérons, après notre exposé de l’argumentation de Kaut
sky. Sans conlondre aucunement technique et économie*,
ce dernier a pleinement raison d’étudièr la question des
rapports entre la grande et la petite production agricole,
toutes choses égales par ailleurs, dans le cadre de l’économie
capitaliste. Des la première phrase du premier paragraphe
du chapitre VI, Kautsky indique avec précision ce lien
entre le niveau de développement du capitalisme et le degré
d'applicabilité de la loi sur la supériorité de la grande ex
ploitation agricole : « Plus l’agriculture devient capita
liste et plus elle accentue la différence qualitative entre
la technique de la petite production et celle de la grande »
(S. 92). Dans l’agriculture précapitaliste, cette dillérence
♦ Le seul point que Boulgakov pourrait invoquer, c’est le titre
que Kautsky a donné au premier paragraphe du chapitre VI : « a) su
périorité technique de la grande production ». alors qu’il y est question
à la fois des avantages techniques et des avantages économiques de
cette dernière. Mais cela prouve-t-il que Kautsky confonde technique
et économie ? Au demeurant, on peut se demander à proprement
parler s’il y a une imprécision dans ce titre. Le fait est que Kautsky
avait pour but d’opposer le contenu du 1er et du 2e paragraphe du cha
pitre VI : le premier (a) traite de la supériorité technique de la grande
production dans l’agriculture capitaliste, et ici, à côté des machines,
etc., figure, par exemple, le crédit. M. Boulgakov ironise : «curieuse
supériorité technique. » Mais rira bien qui rira le dernier! (En français
dans le texte.—N.R.) Jetez un coup d ’œil dans le livre de Kautsky et
vous verrez que l’auteur veut surtout parler du progrès dans la techni
que du crédit (et, plus loin aussi, dans la technique du commerce), qui
est accessible seulement à un gros propriétaire. Au contraire, le para
graphe 2 (b) établit une comparaison portant sur la quantité de tra
vail et les normes de consommation du travailleur dans la grande et
dans la petite production ; par conséquent, on y examine des diffé
rences purement économiques entre la petite et la grande production.
L’aspect économique du crédit et du commerce est le même pour les
deux, mais l’aspect technique est différent.