Volume 04 pages 112-113
faire place au travail capitaliste à domicile. Pour ce qui est
de l’agriculture, il est absolument hors de doute que le
processus de développement du capitalisme y est infiniment
plus complexe et qu’il revêt des formes incomparablement
plus varices.
Passons à Kautsky. L’esquisse de l’agriculture à l’épo
que féodale, par laquelle il commence, serait « très super
ficielle et superflue ». Il est difficile de comprendre les mo
tifs d’un tel verdict. Nous sommes convaincu que si M. Boul
gakov réussit à réaliser son projet et à exposer avec méthode
l’évolution capitaliste de l’agriculture, il lui sera indispen
sable de dégager les traits fondamentaux de l’économie
agricole précapitaliste. Autrement, on ne saurait saisir ni
le caractère de l’économie capitaliste ni les formes de tran
sition qui la relient à l’économie féodale. M. Boulgakov
lui-même reconnaît l’énorme importance « de la forme que
présentait l’agriculture au début (les italiques sont de M.Boul
gakov) de sa course capitaliste». Kautsky envisage précisé
ment « le début de la course capitaliste » dans 1 ’agriculture
européenne. Son aperçu de l’agriculture féodale est, à notre
avis, excellent, et atteste la précision remarquable, l’art
de choisir l’essentiel sans se perdre dans des détails secon
daires, qui caractérisent cet auteur en général. Kautsky
commence, dans son introduction, par poser très exactement
et très correctement la question. Il déclare de la façon la
plus catégorique : « Il est absolument hors de doute —
nous sommes prêt à l’admettre a priori (von vornherein)
comme une chose démontrée — que l’agriculture ne se dé
veloppe pas suivant le même schéma que l’industrie : elle
obéit à des lois particulières » (S. 5-6). Le problème con
siste à «rechercher si le capital conquiert l’agriculture et
comment au juste il s’y prend, comment il la transforme,
comment au juste il rend inadéquates les anciennes formes
de production et de propriété et en suscite nécessairement
de nouvelles» (S. 6). Telle est l’unique façon de poser la
question qui puisse conduire à une explication satisfai
sante du « développement de l’agriculture dans la société
capitaliste » (titre de la première partie, la partie théori
que,- du livre de Kautsky).
Au début de sa « course capitaliste », l’agriculture était
aux mains du paysan, soumis, en règle générale, au régime
féodal d’économie sociale. Aussi, Kautsky caractérise-t-il
avant tout le régime de l’économie paysanne, l’union du
travail de la terre et de l’industrie domestique, puis les
éléments de décomposition de ce « paradis » des écrivains
petits-bourgeois et conservateurs (à la* Sismondi), le rôle
de l’usure, la graduelle «pénétration dans les campagnes,
au sein de l’économie paysanne elle-même, de l’antago
nisme de classe, qui détruit l’ancienne harmonie et l’an
cienne communauté d’intérêts » (S. 13). Ce processus re
monte au moyen âge et n’est pas encore définitivement ter
miné à l’heure actuelle. Nous soulignons cette thèse parce
qu’elle montre d’emblée tout le mallondé de 1’aliirmation
de M. Boulgakov selon laquelle Kautsky n’aurait même
pas posé la question de savoir qui était le porteur du pro
grès technique dans l’agriculture. Kautsky a très nettement
posé et résolu ce problème, et tout lecteur attentif s’assi
milera cette vérité (souvent oubliée par les populistes, les
agronomes et bien d’autres), que le porteur du progrès tech
nique dans l’agriculture actuelle est la bourgeoisie rurale,
tant la petite que la grande, celle-ci (comme l’a montré
Kautsky) jouant d’ailleurs à cet égard un rôle plus impor
tant que celle-là.
II
Kautsky décrit ensuite (au chapitre III) dans ses grandes
lignes l’agriculture léodale : règne de l’assolement triennal,
ce système archiconservateur ; oppression et expropriation
de la paysannerie par la grande aristocratie foncière ; orga
nisation par cette dernière d’une économie féodale-capita
liste ; transformation du paysan en miséreux affamé (Hun
gerleider) au cours des XVIIeet XVIIIesiècles ; développe
ment d’une paysannerie bourgeoise (Grossbauern, ne pou
vant se passer d’ouvriers agricoles et de journaliers) à la
quelle ne convenaient pas les vieilles formes des rapports
ruraux et de la propriété foncière ; destruction de ces for
mes et déblaiement de la voie pour une « agriculture capi
taliste, intensive » (S. 26) par la classe bourgeoise qui
s’était formée avec l’essor de l’industrie et des villes. Après
avoir brossé ce tableau, Kautsky caractérise l’« agricul
ture moderne » (chap. IV).
* En français dans le texte. (N. B.)
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