Volume 04 pages 110-111
par son âpreté et par son ton inhabituel dans les polémiques
entre auteurs proches par leurs tendances. Voici quelques
spécimens des expressions employées par M. Boulgakov :
« extrêmement superliciel »... « il y a là aussi peu de véri
table agronomie que de véritable économie »... « Kautsky
élude par des phrases (les italiques sont de M. Boulgakov !!)
les problèmes scientifiques sérieux», etc., etc. Examinons
donc de plus près les expressions de ce critique si sévère,
tout en faisant connaître au lecteur le livre de Kautsky.
I
Avant même de s’en prendre à Kautsky, M. Boulgakov
adresse en passant une réprimande à Marx. Il va de soi
qu’il souligne les immenses mérites du grand économiste ;
mais il soutient qu’on relève « parfois » chez Marx certai
nes «conceptions erronées... d’ores et déjà suffisamment
réfutées par l’histoire». «Au nombre de ces conceptions
figure par exemple celle en vertu de laquelle, dans l’agri
’ culture, le capital variable diminue par rapport au capital
constant, tout comme dans l’industrie de transformation,
si bien que la composition organique du capital agricole
augmente sans cesse. » Qui se trompe ici, Marx ou M. Boul
gakov ? Ce dernier fait allusion à ce fait que, dans l’éco
nomie rurale, le progrès de la technique et le développe
ment de la culture intensive ont souvent pour conséquence
ù'accroître la quantité de travail nécessitée par la mise
en valeur d’une superficie donnée. Cela est indéniable.
Mais de là à rejeter la théorie de la diminution du capital
variable par rapport au capital constant, proportionnelle
ment à ce dernier, il y a loin. La théorie de Marx affirme
seulement que le rapport (v—capital variable, c—capital
constant) révèle dans l’ensemble une tendance à diminuer,
même si v s’accroît par unité de surface ; est-ce que cela
réfute la théorie de Marx si, en même temps, c augmente
encore plus rapidement ? En ce qui concerne l’agriculture
des pays capitalistes prise dans son ensemble, on constate
une diminution de v et une augmentation de c, La popula
tion rurale et le nombre des ouvriers agricoles diminuent
aussi bien en Allemagne qu’en France et en Angleterre,
tandis que se multiplient les machines utilisées dans l’a-
griculture. En Allemagne, par exemple, la population rurale
est tombée entre 1882 et 1895 de 19 200 000 à 18 500 000
(le nombre des ouvriers agricoles salariés de 5 900 000 à
5 600 000), alors que le nombre des machines utilisées dans
l’agriculture est passé de 458 369 à 913 391*; celui des
machines à vapeur s’est élevé de 2 731 (1879) à-12 856
(1897) ; celui des chevaux-vapeur a augmenté encore da
vantage. Le cheptel bovin est passé de 15 800 000 à 17 500 000
têtes et le cheptel porcin de 9 200 000 à 12 200 000 (1883 et
1892). En France, la population rurale est tombée de
6 900 000 cultivateurs (« indépendants ») en 1882 à 6 600000
en 1892, alors que le nombre des machines agricoles s’est
accru comme suit : en 1862 — 132 784 ; en 1882 — 278 896;
en 1892—355 795 ; cheptel bovin : 12 000 000, 13 000 000,
13 700 000 ; nombre des chevaux : 2 910 000, 2 840 000,
2 790 000 (la réduction du nombre des chevaux pour la
période 1882-1892 est moins considérable que celle de la
population rurale). Somme toute, en ce qui concerne les
pays capitalistes actuels, loin de réfuter la possibilité d’ap
pliquer la loi de Marx à l’agriculture, l’histoire l’a au con
traire confirmée. L’erreur de M. Boulgakov consiste à avoir
trop hâtivement promu des faits agronomiques isolés au
rang de lois économiques générales, sans s’être interrogé
sur leur signification. Nous soulignons « générales » parce
que ni Marx ni ses disciples n’ont jamais considéré cette
loi autrement que comme une loi exprimant les tendances
générales du capitalisme, et nullement comme une loi
valable pour tous les cas pris en particulier. Même en ce qui
concerne l’industrie, Marx en personne a montré que les
périodes de transformations techniques (où le rapport— di
minue) sont suivies de périodes de progrès sur la base tech
nique donnée (où le rapport—demeure inchangé et, éven
c
tuellement, peut même augmenter). On connaît, dans
l’histoire de l’industrie des pays capitalistes, des cas où
cette loi cosse d’être valable pour des branches entières de
l’industrie. Par exemple, quand de grands ateliers capita
listes (improprement appelés fabriques) se dissolvent pour
* On a groupé des machines diverses. Sauf mention spéciale, tous
les chiffres sont empruntés au livre de Kautsky.