Volume 04 pages 48-49
déterminée de la société en classes, l’auteur montre com
ment ces classes se sont manifestées dans la vie politique,
familiale, intellectuelle de la période historique considérée,
comment les intérêts de ces classes se sont reflétés dans
des écoles économiques bien définies, comment, par exemple,
les intérêts du capitalisme ascendant ont été traduits par
l’école de la libre concurrence, et les intérêts de la même
classe dans la période la plus récente par l’école des éco
nomistes vulgaires (p. 284), l’école apologétique. L’au
teur a pleinement raison de signaler le lien qui rattache
à la situation de classes déterminées l’école historique
(p. 284) et l’école des « réformateurs de la chaire » 6 (école
«réaliste» ou « historico-éthique »), que l’on doit con
sidérer comme une « école du compromis » (p. 287), avec sa
conception fausse et inepte de l’origine et du rôle «en
dehors des classes » des institutions juridico-politiques
(p. 288), etc. C’est aussi en fonction de l’évolution
du capitalisme que l’auteur examine les doctrines de Sis
mondi et de Proudhon, qu’il range à juste titre parmi
les économistes petits-bourgeois, en montrant que leurs
idées ont pour racines les intérêts d’une classe parti
culière de la société capitaliste, classe qui occupe « une
place intermédiaire, de transition » (p. 279), et en recon
naissant sans détours leur sens réactionnaire (pp. 280
281). Grâce à la fermeté de ses conceptions et à son aptitude
à considérer les divers aspects de la vie économique en cor
rélation avec les traits essentiels d’une structure écono
mique donnée, l’auteur a apprécié à sa juste valeur la
signification de phénomènes tels que la participation des
ouvriers aux bénéfices de l’entreprise (une des « formes du
salaire » qui « peut trop rarement se révéler avantageuse
pour le chef d’entreprise » (pp. 132-133), ou bien les as
sociations de producteurs qui, « s’organisant dans le cadre
des rapports capitalistes », « ne font en somme qu’augmen
ter le nombre des petits bourgeois » (p. 187).
Nous savons que ce sont précisément ces particularités
du Cours de M. Bogdanov qui susciteront de nombreux re
proches. Seront mécontents, cela va de soi, les tenants
et les adeptes de l’école « éthico-sociologique » en Russie.
Mécontents seront ceux qui estiment que « la question de
la conception économique de l’histoire est d’ordre pure-
ment académique » *, et bien d’autres encore... Mais en
dehors de ce mécontentement partisan, pour ainsi dire,
on indiquera sans doute ceci : poser les problèmes avec
autant d’ampleur a entraîné une extrême concision dans
l’exposé de ce « cours abrégé » qui traite à la fois, en 290
petites pages, de toutes les périodes du développement
économique, depuis la communauté du clan et les sauvages
jusqu’aux cartels et trusts capitalistes, ainsi que de la
vie politique et familiale du monde antique et du moyen
âge, sans parler de l’histoire des doctrines économiques.
L’exposé de M. Bogdanov, c’est vrai, est extrêmement succinct,
comme il le signale lui-même dans la préface en qualifiant
son livre de « résumé ». Il est certain que quelques-unes
des remarques laconiques de l’auteur, qui se rapportent
le plus souvent à des laits d’ordre historique et parfois
à des questions plus spéciales de l’économie théorique,
seront peu accessibles au lecteur débutant désireux
de s’initier à l’économie politique. Il nous semble
pourtant qu’on ne peut en faire grief à l’auteur. Nous di
rions même, sans craindre le paradoxe, que ce genre
de remarques nous apparaîtrait plutôt comme un mérite.
En effet, si l’auteur avait voulu exposer, expli
quer et motiver en détail chacune de ces remarques, son
travail aurait pris une ampleur immense ne correspon
dant absolument pas aux objectifs d’un manuel abrégé.
Au demeurant, il serait chimérique de prétendre exposer
dans un cours quelconque, lût-il le plus volumineux, les
résultats de la science contemporaine sur l’ensemble
de l’évolution économique et sur l’histoire des doctrines
depuis Aristote jusqu’à Wagner. S’il avait exclu toutes
les observations de ce genre, son livre aurait nettement
perdu de son intérêt en rétrécissant les limites et la portée
de l’économie politique. Telles quelles, ces remarques brè
ves seront, pensons-nous, très profitables à la lois aux maî
tres et aux étudiants. C’est évident en ce qui concerne les
premiers. Quant aux seconds, ils verront par l’ensemble
de ces observations qu’on ne saurait étudier l’économie
* C’est l’opinion du critique de la revue Rousskaïa Mysl (no
vembre 1897, rubrique bibliographique, p. 517). En voilà des far
ceurs !
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