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leur liberté personnelle, on n’en fit pas pour autant des
hommes libres : on les laissa pour vingt ans temporairement
redevables 149; ils restaient (et ils restent encore) un ordre
inférieur, passible de verges, payant des impôts spéciaux,
n’ayant pas le droit de quitter librement leur communauté
encore entachée de servage, de disposer librement de leur
terre, ni de se fixer librement dans une localité quelcon
que du pays. Ce n’est pas la magnanimité gouvernementale
que démontre notre rélormo paysanne ; au contraire, elle
est un exemple historique Irappant de la façon dont le gou
vernement autocratique souille tout ce qui passe par ses
mains. Sous la pression de la défaite militaire, de terribles
embarras financiers et de redoutables soulèvements de pay
sans, le gouvernement fut littéralement contraint de les
affranchir. Le tsar lui-même reconnut qu’il fallait libérer
d’en haut avant que ne commence la libération par en bas.
Mais, une fois la réforme décidée, le gouvernement lit le
possible et l’impossible pour satisfaire la cupidité des te
nants du servage qui avaient été « lésés » ; il ne recula
pas même devant l’ignominie consistant à frauder sur le
choix des hommes appelés à réaliser la rélormo, — bien
que ceux-ci lussent choisis parmi la noblesse ! Les premiers
arbitres désignés furent cassés et remplacés par des gens
incapables de résister aux tenants du servage chaque lois
que ceux-ci cherchaient à rouler les paysans, même lors
du bornage des terres. Et, pour accomplir la grande
réforme, il fallut recourir à l’intervention de la troupe
et faire fusiller des paysans qui refusaient d’accepter
les chartes réglementaires150. Il n’est pas étonnant que
les meilleurs esprits de l’époque, muselés par la censure,
aient accueilli cette réforme par la malédiction du
silence...
« Affranchi » de la corvée, le paysan est sorti des mains
du réformateur à tel point accablé, dépouillé, humilié, as
sujetti à son lot de terre, qu’il ne lui restait plus d’autre
solution que d’aller « volontairement » à la corvée. Et le
moujik se mit à cultiver la terre de son ancien maître, « pre
nant à bail » les mêmes parcelles dont il avait été dépouillé
et s’engageant en hiver, contre une avance de blé pour nour
rir sa famille, à travailler pour lui l’été. Prestations et
servitude, tel fut en réalité ce « travail libre », sur lequel