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d’une jeunesse qui n’est pas encore enlisée dans la boue de
la stagnation bourgeoise, à protester contre tout le système
d’arbitraire policier et bureaucratique.
Les étudiants de Kiev exigent le renvoi d’un professeur
qui a remplacé un collègue parti. L’administration résiste,
accule la jeunesse à des « attroupements et manifestations »
et ... finit par céder. Les étudiants convoquent une réunion
pour examiner comment peuvent se produire des faits aussi
infâmes que le viol d’une jeune fille par deux « doublures
blanches»113 (d’après un bruit qui court). L’administration
condamne les principaux « coupables » au cachot. Ils refu
sent de se soumettre. On les exclut de l’université. La foule
les accompagne démonstrativement à la gare. Une nouvelle
assemblée a lieu, les étudiants demeurent sur place jusqu’au
soir, refusant de se séparer tant que le recteur ne sera pas
venu. Le vice-gouverneur et le chef de la gendarmerie sur
viennent avec un détachement de soldats qui cornent l’uni
versité et pénètrent dans l’amphithéâtre, — et font venir
le recteur. Les étudiants exigent peut-être, pensez-vous,
une Constitution ? Non, ils demandent que la peine
du cachot ne soit pas appliquée et qu’on réintègre les
exclus. On prend les noms des assistants et on les renvoie
chez eux.
Réfléchissez un peu à cette étonnante disproportion
entre les modestes et inoffensives revendications des étu
diants et la panique dont est saisi le gouvernement, qui
agit comme si la hache était déjà portée sur les racines de
son pouvoir. Rien ne trahit mieux notre « tout-puissant »
gouvernement que cette panique. Mieux que toutes les « pro
clamations criminelles », il montre par là — à qui a des
yeux pour voir et des oreilles pour entendre — qu’il se
sent tout à fait vacillant et qu’il n’a confiance qu’en la
force des baïonnettes et du fouet pour se défendre contre
l’indignation populaire. Instruit par des dizaines d’an
nées d’expérience, le gouvernement est fermement convaincu
qu’il est entouré de matières inflammables, qu’il suffit
de la moindre étincelle, d’une protestation contre le cachot,
pour allumer l’incendie. Or, s’il en est ainsi, il est clair
que la répression doit être exemplaire : enrôlement forcé
de centaines d’étudiants ! « Et les adjudants joueront les
Voltaire ! »144, cette formule n’a absolument pas vieilli.