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à la veille du 1er mai de cette année, contenait cette reven
dication, et nous avons vu qu’une partie des ouvriers d’avant
garde avait parfaitement saisi sa portée. Nous devons
faire en sorte que tous les ouvriers d’avant-garde conçoivent
clairement la nécessité de cette revendication et la répan
dent non seulement parmi les masses ouvrières, mais aussi
dans toutes les couches de la population qui sont en contact
avec les ouvriers et qui veulent savoir au nom de quoi luttent
les socialistes et les ouvriers « des villes ». Cette année-ci,
comme un inspecteur de fabrique demandait ce que les
ouvriers voulaient exactement, une seule voix lança :« Une
Constitution ! », et cette voix était si solitaire que le cor
respondant ironise légèrement, en disant : «Un prolétaire lâ
cha un cri. » Un autre correspondant dit tout crûment
qu’« en l’occurrence», la réponse était «à demi comique»
(voir Le mouvement ouvrier à Kharkov, compte rendu du
Comité do Kharkov du Parti ouvrier social-démocrate de
Russie, publié par le Rabotchéié Diélo. Genève, septembre
1900, p. 14). A proprement parler, il n’y avait rien de ri
dicule dans cette réponse : ce qui pouvait paraître ridicule,
c’était seulement la discordance entre cette revendication
solitaire, tendant à changer tout le régime politique, et
les autres revendications, visant à réduire d’une demi
heure la journée do travail et à distribuer la paye pendant
les heures de travail. Mais il existe un rapport incontes
table entre ces dernières revendications et celle de la Cons
titution, et si nous arrivons (nous y arriverons certainement)
à le faire sentir aux masses, le cri : « Une Constitution ! »
ne sera plus isolé, mais sortira de milliers et de centai
nes de milliers de bouches, et alors il ne sera plus ridi
cule, mais menaçant. On raconte qu’un voyageur, de pas
sage à Kharkov pendant les journées de mai, demanda
à son cocher ce que voulaient exactement les ouvriers et
reçut cette réponse : « Ils réclament, voyez-vous, la journée de
8 heures et un journal à eux. » Ce cocher avait déjà com
pris que les ouvriers ne se contenteraient pas de vagues
aumônes, qu’ils voulaient se sentir des hommes libres,
qu’ils voulaient, librement et publiquement, déclarer leurs
besoins et se battre pour eux. Mais on ne voit pas encore,
dans sa réponse, qu’il ait pris conscience du fait que les
ouvriers se battent pour la liberté du peuple tout entier,