Volume 04 pages 376-377
si nous ne voulons pas rester « à la traîne », nous devons
orienter tous nos efforts pour mettre sur pied une organisa
tion pour toute la Russie, capable de diriger toutes les
explosions isolées et, par ce moyen, de faire en sorte que
la tempête imminente (dont parle aussi un ouvrier de
Kharkov à la lin de la brochure) ne soit pas un orage spon
tané, mais un mouvement conscient du prolétariat in
surgé à la tête de tout le peuple contre le gouvernement
autocratique.
Outre une leçon de choses sur le manque de cohésion
et de préparation de nos organisations révolutionnaires,
le 1er mai de Kharkov fournit aussi une indication pratique
non moins importante. «La lête et la manifestation du
1er mai, dit-on dans la brochure, se sont soudain trou
vées associées à diverses revendications pratiques présen
tées sans la préparation voulue, et, par suite, vouées en
général à l’échec. » Prenons, par exemple, les revendica
tions des ouvriers des ateliers ferroviaires : sur 14, 11
concernent des améliorations de détail parfaitement réa
lisables même dans le régime politique actuel : augmen
tation des salaires, réduction de la journée de travail, sup
pression d’abus. A côté de ces revendications, et comme si
elles étaient absolument do même nature, nous en voyons
trois autres : 4) journée de huit heures ; 7) garantie de
l’inviolabilité personnelle des ouvriers après les événements
de mai ; 10) formation d’une commission composée d’ou
vriers et de représentants de. l’administration pour exa
miner tous les différends entre les deux parties. La première
de ces revendications (point 4) est commune au proléta
riat mondial ; elle signifie visiblement que les ouvriers
avancés de Kharkov ont conscience de leur solidarité avec
le mouvement ouvrier socialiste du monde entier. Mais
c’est précisément la raison pour laquelle il ne faut pas
la placer parmi les revendications partielles entre le point
qui réclame un meilleur traitement de la part des contre
maîtres et celui qui demande une augmentation de 10%
des salaires. Ces revendications-là, relèvement des sa
laires et manière plus décente de traiter les gens, peu
vent (et doivent) être présentées par les ouvriers de tel ou
tel métier à leurs patrons : ce sont des revendications cor
poratives, intéressant certaines catégories d’ouvriers. Les
8 heures, au contraire, sont la revendication de tout le pro
létariat, adressée non pas à tel ou tel patron, mais au pou
voir d’Etat, en tant que représentant de tout le régime so
cial et politique actuel, à toute la classe des capitalistes
détenteurs de tous les moyens de production. La reven
dication de la journée de 8 heures a pris un sens spécial :
c’est une déclaration de solidarité avec le mouvement
socialiste international. Nous devons laire en sorte que
les ouvriers prennent conscience de cette différence et
ne ramènent pas la revendication des 8 heures au niveau
de revendication comme celle de billets gratuits ou du
renvoi d’un gardien. Tout le long de l’année, ici ou là, les
ouvriers présentent constamment aux patrons toutes sor
tes de revendications particulières et luttent pour les faire
aboutir : les socialistes, en les aidant dans cette lutte,
doivent toujours montrer qu’elle se rattache à la lutte du
prolétariat de tous les pays pour son émancipation. La
journée du 1er mai doit avoir le sens d’une déclaration so
lennelle par laquelle les ouvriers reconnaissent ce lien et
s’associent résolument à cette lutte.
Prenons le point 10 sur la formation d’une commis
sion pour examiner les différends. Une commission ainsi
composée d’élus des ouvriers et de l’administration serait
sans doute d’une grande utilité, mais seulement à deux
conditions : liberté absolue des élections et indépendance
absolue des délégués. Quelle utilité aura-t-elle si l’on con
gédie les ouvriers qui mèneront campagne contre l’élection
de créatures de l’administration ou qui attaqueront violem
ment cette dernière, en dévoilant toutes ses vexations ?
Or, ces ouvriers ne seront pas seulement renvoyés ; ils
seront jetés en prison. Donc, pour qu’une commission de
ce genre soit utile aux ouvriers, il laut d’abord que les
délégués ne dépendent pas des autorités de la fabrique ;
ce qui n’est possible que s’il existe une association ouvriè
re libre, englobant un grand nombre de fabriques, ayant
sa propre caisse et prête à assumer la défense de ses délé
gués. La commission ne peut rendre des services que si
elle groupe beaucoup de fabriques et, si possible, toutes
celles d’une même branche d’industrie. Il faut ensuite,
en second lieu, que la personne des ouvriers soit inviolable,
c’est-à-dire qu’ils ne puissent pas être arrêtés selon le bon