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le plus poli, il n’entendra en retour que grossièretés, injures
et menaces. N’est-il pas évident que si, à cette occasion,
les fabricants accusent les ouvriers de grossièretés, ils s’en
prennent à autrui de leurs propres fautes ? Les conseils
de prud’hommes feraient vite perdre à nos exploiteurs
l’habitude d’être grossiers : des ouvriers seraient juges aux
côtés de fabricants, ils examineraient ensemble les affaires
et voteraient ensemble. Les juges fabricants seraient obli
gés de voir dans les juges ouvriers leurs égaux, et non des
mercenaires. On verrait défiler devant le conseil des plai
deurs et des témoins dont les uns seraient des fabricants
et les autres des ouvriers : les fabricants apprendraient à
mener des pourparlers sur un ton correct avec les ouvriers.
Cela est très important pour les ouvriers, car à l’heure ac
tuelle il est très rare que de tels pourparlers puissent s’en
gager : le fabricant ne veut même pas entendre parler de
l’élection de délégués par les ouvriers, et il ne reste à ces
derniers qu’une seule voie pour entrer en pourparlers :
la grève, voie difficile et souvent très pénible. En outre,
s’il y avait dos ouvriers parmi des juges, les ouvriers pour
raient facilement porter plainte devant le conseil contre
la grossièreté patronale. Les juges ouvriers prendraient
toujours fait et cause pour eux, et l’assignation en justice
du fabricant ou du contremaître pour fait de grossièreté
leur ferait passer l’envie de se montrer insolent et arro
gant.
Ainsi, les conseils de prud’hommes, composés par moi
tié de délégués élus des patrons et des ouvriers, sont d’une
très grande importance pour les ouvriers et leur apportent
beaucoup d’avantages : ils sont beaucoup plus accessibles
aux ouvriers que les tribunaux ordinaires ; leur procédure
comporte moins de paperasserie et de lenteurs bureaucrati
ques ; les juges y connaissent mieux les conditions de la
vie de fabrique et se montrent plus équitables ; ils familia
risent les ouvriers avec les lois et leur apprennent à élire
leurs représentants pour la participation aux affaires pu
bliques ; ils donnent une plus grande publicité à la vie de
fabrique et au mouvement ouvrier ; ils habituent les fabri
cants à traiter poliment les ouvriers et à mener avec eux
des pourparlers corrects, d’égal à égal. Aussi n’est-il pas
étonnant que les ouvriers de tous les pays européens récla-