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tribueraient à divulguer tout abus, qu’ils faciliteraient ainsi
aux ouvriers la lutte contre les divers scandales qui se pro
duisent dans les fabriques, qu’ils habitueraient les ouvriers
à penser non seulement à ce qui se passe dans leur propre
usine, mais au régime en vigueur dans toutes les usines,
à la situation de tous les ouvriers *.
Enfin, on ne saurait passer sous silence cet autre avan
tage des conseils de prud’hommes : ils habituent les fabri
cants, les directeurs, les contremaîtres, à se montrer corrects
avec les ouvriers, à les traiter comme des citoyens ayant les
mêmes droits qu’eux-mêmes, et non comme des serfs.
Tout ouvrier sait que les fabricants et les contremaîtres
se permettent très souvent de traiter les ouvriers avec une
grossièreté scandaleuse, de les injurier, etc. 11 est difficile
à un ouvrier de se plaindre de cette attitude, et une riposte
n’est possible que là où tous les ouvriers sont déjà suffi
samment évolués et capables de soutenir leur camarade.
Les fabricants et les contremaîtres disent que nos ouvriers
sont très ignorants et très grossiers, et qu’on est bien obligé,
dans ces conditions, de les traiter grossièrement. En effet,
il existe encore, dans la classe ouvrière de chez nous, beau
coup de traces du servage : peu d’instruction et beaucoup
de grossièreté, on ne saurait le nier. Mais à qui la faute, en
tout premier lieu ? Précisément aux fabricants, aux contre
maîtres, aux fonctionnaires, qui se comportent avec les
ouvriers comme des seigneurs avec leurs serfs, qui se refu
sent à considérer l’ouvrier comme leur égal. L’ouvrier
aura beau adresser une demande ou une question sur le ton
* Bien entendu, il ne faut pas oublier à ce propos que les conseils
de prud’hommes ne sauraient être qu’un des moyens, et nullement
le moyen essentiel, d’assurer cette publicité. La vie en usine, la situa
tion des ouvriers et leur lutte ne peuvent être vraiment et pleinement
portées à la connaissance du public que par des journaux ouvriers li
bres et des réunions publiques également libres, où il soit discuté de
toutes les affaires de l’Etat. De même, la représentation des ouvriers
dans les conseils de prud’hommes n’est que l’un des moyens de re
présentation, mais pas le principal, tant s’en faut : la représentation
des intérêts et des besoins des ouvriers n’est réellement possible que
dans une institution représentative du peuple tout entier (un Parle
ment), chargée de promulguer les lois et de veiller à leur application.
Nous reviendrons plus loin sur la question de savoir s’il est possible,
étant donné l’état de choses actuel en Russie, d’y créer des conseils de
prud’hommes.