Volume 04 pages 258-259
sant, usuraire, d’un marché que d’établir un prix de fer
mage exorbitant.
En somme, les revendications que nous proposons se
ramènent, selon nous, à deux buts essentiels : 1° abolir
tous les rapports et institutions précapitallsles, hérités du
servage à la campagne (le complément à ces revendications
se trouve dans la première section de la partie pratique du
programme) ; 2° conlérer à la lutte de classe dans les cam
pagnes un caractère plus déclaré et plus conscient. Ce sont
ces principes qui, à notre avis, doivent guider Je « program
me agraire » social-démocrate en Russie ; il laut nous déso
lidariser résolument des tendances, si multiples en Russie,
à vouloir atténuer la lutte de classe à la campagne. l e courant
libéralo-populiste dominant a précisément ce caractère ;
mais, tout en le rejetant catégoriquement (comme cela a
été fait dans Y Annexe au rapport présenté par les social
démocrates russes au Congrès international de Londres), il
importe de ne pas oublier que nous devons dégager le con
tenu révolutionnaire du populisme. « Pour autant que le
populisme était révolutionnaire, c’est-à-dire qu’il s’élevait
contre l’Etat bureaucratique de caste et les 1 ormes barba
res, favorisées par ce dernier, d’exploitation et d’oppres
sion des masses populaires, il devait ligurer, avec des modi
fications appropriées, comme un élément constitutif dans
le programme de la social-démocratie russe » (Axelrod :
A propos des tâches et de la tactique actuelles, p. 7). Deux
formes essentielles do la lutte de classe s’entrelacent au
jourd’hui dans la campagne russe : 1° la lutte de la paysan
nerie contre les propriétaires lonciers privilégiés et contre
les vestiges du servage ; 2° la lutte du prolétariat rural
naissant contre la bourgeoisie rurale. Pour les social-dé
mocrates cette seconde lutte est, bien entendu, la plus im
portante, mais ils doivent nécessairement soutenir aussi
la première, pour autant que cela ne contredit pas les intérêts
du développement social. Ce n’est pas par hasard que la
question paysanne a occupé et occupe encore une si large
place dans la société et dans le mouvement révolutionnaire
russes : ce n’est là qu’un reflet de ce lait que la première
lutte continue, elle aussi, d’avoir une grande importance.
Pour terminer, nous tenons à mettre en garde contre un
malentendu possible. Nous avons parlé d’un « appel révo-
lutionnaire » lancé aux paysans par la social-démocratie.
N’est-ce pas là éparpiller ses elforts et nuire à la concen
tration indispensable des.forces sur le travail à mener par
mi le prolétariat industriel ? Pas du tout. La nécessité
d’une telle concentration est reconnue par tous les social
démocrates russes ; elle ligure aussi bien dans le projet du
groupe « Libération du Travail » de 1885 que dans la brochu
re sur les Tâches des social-démocrates russes de 1898. Il
n’y a donc vraiment aucune raison de craindre que les so
cial-démucratcs n’éparpillent leurs forces. Un programme,
en ellet, n’est pas une directive : il doit embrasser le mou
vement tout entier, mais dans la pratique, bien entendu,
on est obligé de mettre au premier plan tantôt un aspect,
tantôt un autre du mouvement. Personne ne contestera la
nécessité de faire état dans le programme, non seulement
des ouvriers industriels, mais aussi dos ouvriers agricoles,
bien qu’aucun social-démocrate russe ne songe pour autant
à envoyer des camarades militer au village dans la conjonc
ture actuelle. Mais le mouvement ouvrier conduira néces
sairement, de lui-même, en dehors même do nos efforts,
à la diffusion des idées démocratiques dans les campagnes.
« Le travail d’agitation sur le terrain des intérêts économi
ques fera que les cercles social-démocrates se heurteront
inéluctablement et directement à des laits mettant en
pleine lumière l’étroite solidarité d’intérêts de notre pro
létariat industriel et des masses paysannes » (Axelrod,
ibid., p. 13), et voilà pourquoi un « Agrarprogramm » *
(dans le sens indiqué’, il ne s’agit évidemment pas du tout,
strictement parlant, d’un « programme agraire ») est d’une
nécessité impérieuse pour les social-démocrates russes.
Dans notre propagande et notre travail d’agitation, nous
rencontrons continuellement des ouvriers-paysans, c’est
à-dire des ouvriers de fabrique et d’usine qui conservent
des attaches à la campagne, qui y ont leurs proches, leur
famille qu’ils vont voir. Les questions relatives aux in
demnités de rachat, à la caution solidaire, aux prix de fer
mage, intéressent vivement, bien souvent, l’ouvrier de la
capitale lui-même (pour ne pas parler des ouvriers de l’Ou
ral, par exemple, parmi lesquels la propagande et l’agita
* «Programme agraire». (N.R.)
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