Volume 04 pages 222-223
sidère qu’en luttant quotidiennement, pour des revendica
tions partielles, contre tels patrons et tels fonctionnaires,
il se bat contre toute la bourgeoisie et tout le gouvernement,
c’est alors seulement que son action devient une lutte de
classe. «Toute lutte de classe est une lutte politique84.» On
aurait tort de comprendre ces paroles célèbres de Marx en
ce sens que toute action des ouvriers contre les patrons est
toujours une lutte politique. Il faut les comprendre ainsi :
la lutte des ouvriers contre les capitalistes devient néces
sairement une action politique dans la mesure où elle de
vient une lutte de classe, La social-démocratio se propose
précisément, en organisant les ouvriers, de transformer par
la propagande et l’agitation, leur lutte spontanée contre
les oppresseurs en une lutte de toute la classe, en la lutte
d’un parti politique déterminé pour des idéals politiques
et socialistes déterminés. Pareille tâche ne saurait être réa
lisée par Je travail local à lui seul.
L’activité social-démocrate locale a déjà atteint chez
nous un assez grand développement. Les germes des idées
social-démocrates sont d’ores et déjà semés à travers toute
la Russie ; les tracts ouvriers — cette première forme
de la presse social-démocrate — sont connus de tous les
ouvriers russes, de Pétersbourg à Krasnoïarsk et du Cauca
se à l’Oural. Ce qu’il nous faut, à l’hcuro actuelle, c’est
de concentrer toutes ces activités locales dans l’action d’un
seul parti. Notre principal délaut, dont l’élimination re
quiert tous nos efforts, c’est le caractère étroit, « artisanal »,
de l’activité locale. Du fait de ce caractère artisanal, une
foule de manifestations du mouvement ouvrier en Russie
restent des événements purement locaux et perdent beaucoup
de leur valeur d’exemple pour l’ensemble de la social-dé
mocratie russe, de leur importance en tant qu’étape de tout
le mouvement ouvrier russe. Du fait de ce caractère artisa
nal, les ouvriers ne prennent pas suffisamment conscience
de la communauté de leurs intérêts dans toute la Russie
et ne rattachent pas assez leur lutte à l’idée du socialisme
russe et de la démocratie russe. Du fait de ce caractère arti
sanal, les divers points de vue des camarades sur les ques
tions de théorie et de pratique ne sont pas discutés ouverte
ment dans un organe central, ne servent pas à l’élabora
tion d’un programme général du Parti et d’une tactique
d’ensemble, mais se perdent dans une ambiance étroite de
cénacle ou conduisent à une exagération démesurée des par
ticularités locales et fortuites. 11 importe d’en finir avec
ces méthodes artisanales! Nous sommes assez mûrs pour
passer à un travail d'ensemble, à la mise au point d’un pro
gramme général pour le Parti, à une discussion collective
sur la tactique et l’organisation de notre Parti.
La social-démocratie russe a beaucoup fait pour la cri
tique des vieilles théories révolutionnaires et socialistes; elle
ne s’en est pas tenue à la seule critique et à la théorie pure; elle
a démontré que son programme n’était pas suspendu dans le
vide, mais qu’il allait au-devant du vaste mouvement spon
tané des milieux populaires, et notamment du prolétariat in
dustriel. 11 lui reste maintenant à accomplir le pas suivant,
particulièrement difficile, mais en revanche particulièrement
important : mettre sur pied une organisation de ce mouve
ment qui soit adaptée à nos conditions. La social-démocratie
n’est pas simplement au service du mouvement ouvrier :
elle est « la fusion du socialisme et du mouvement ouvrier »
(pour employer la définition de K. Kaulsky qui reprend
les idées fondamentales du Manifeste communiste) ; sa tâche
est d’introduire dans le mouvement ouvrier spontané des
idéals socialistes bien délinis, de le lier aux convictions so
cialistes qui doivent être au niveau de la science moderne,
de le lier à une lutte politique systématique pour la démo
cratie en tant que moyen de réaliser le socialisme; en un
mol, de faire fusionner en un tout indissoluble ce mouvement
spontané avec l’activité du parti révolutionnaire. L’histoire
du socialisme et de la démocratie en Europe occidentale, l’his
toire du mouvement révolutionnaire russe, l’expérience de
notre mouvement ouvrier, telle est la matière que nous devons
nous assimiler afin d’élaborer l’organisation et la tactique
rationnelles de notre Parti. Toutefois, cette matière doit être
« élaborée» par nos propres moyens, car nous ne disposons
pas de modèles tout laits : d’une part, le mouvement ou
vrier russe est placé dans des conditions tout autres que le
mouvement d’Europe occidentale. 11 serait très dangereux
de se faire une illusion quelconque à ce sujet. D’autre part,
la social-démocratie russe se distingue foncièrement des an
ciens partis révolutionnaires de Russie, si bien que la né
cessité de s’instruire aupiès des vieux coryphées russes en