Volume 04 pages 68-69
turel l’extension démesurée prise par les formes inférieu
res et les pires qui soient du capital, le capital commer
cial et le capital usuraire. Dans la masse des paysans
« déshérités » qui traînent une existence quasi famélique
sur leurs minuscules lots de terre, les rares paysans ai
sés deviennent inévitablement des exploiteurs de la pire
espèce, qui asservissent les paysans pauvres en leur prê
tant de l’argent, en les embauchant pendant l’hiver28,
etc., etc. En freinant l’évolution du capitalisme dans
l’agriculture comme dans l’industrie, ces institutions su
rannées restreignent par là même la demande de main
d’œuvre, sans assurer en même temps aux paysans la moin
dre garantie contre l’exploitation la plus impudente et
la plus illimitée, et même contre la mort par la lamine. Les
calculs approximatifs effectués par M. Gvozdev dans son
livre au sujet des sommes versées par les paysans pauvres
aux koulaks et aux usuriers montrent clairement l’inconsis
tance des comparaisons habituelles opposant au proléta
riat d’Europe occidentale la paysannerie russe avec ses
lots de terre. En réalité, la grande masse de cette paysan
nerie est dans une situation très inférieure à celle du prolé
tariat rural en Occident ; en réalité, nos paysans pauvres
doivent être mis au rang des indigents, et l’on voit de
plus en plus souvent revenir les temps où il était nécessai
re de recourir à des mesures extraordinaires d’assistance
en faveur des millions de paysans touchés par la famine.
Si les institutions fiscales ne réunissaient pas artifi
ciellement les paysans aisés et les paysans pauvres, ces
derniers devraient être inévitablement classés dans la
catégorie officielle des indigents, ce qui définirait de
façon plus précise et plus conforme à la vérité l’attitude
de la société actuelle envers ces couches de la popula
tion. L’ouvrage de M. Gvozdev est utile parce qu’il offre
une vue d’ensemble des données sur le processus de la
« paupérisation non prolétarienne » *, et qu’il carac
térise à juste titre ce processus comme une forme infé
rieure et la pire qui soit de la différenciation de la pay
sannerie. M. Gvozdev semble bien connaître les publica
* Parvus, Le marché mondial et la crise agricole. Saint-Pétersbourg
1898, p. 8, note.
tions économiques russes, mais son livre n’aurait eu que
plus de valeur si l’auteur avait accordé moins de place
à des citations tirées de divers articles de revues pour
consacrer plus d’attention à une élaboration personnelle
des matériaux utilisés. L’interprétation populiste des
renseignements dont on dispose laisse habituellement
dans l’ombre les aspects de cette question les plus im
portants sur le plan théorique. En outre, les jugements
personnels de M. Gvozdev sont souvent trop généraux
et trop vagues. C’est surtout le cas du chapitre consacré
à l’industrie artisanale. Quelques passages du livre sont
d’un style alambiqué et nébuleux.
Rédigé en février 1899
Publié en mars 1899 dans le n* 3
de la revue « Natchalo »
Signé : V l. Iline
Conforme au texte de la revue